UN CHEMIN NON CONVENTIONNEL VERS L’ÉVEIL
Comment le bouddhisme a aidé un pratiquant porteur du syndrome d’Asperger.
Tom Clements, tricycle, 13 septembre 2016
Il y a deux ans, à l’âge de 26 ans, après des années à patauger dans les profondeurs d’une dépression débilitante, pris au piège d’un cycle sans fin d’isolement, de désir et d’envie, j’ai décidé de rechercher la liberté et le bonheur intérieurs en empruntant la voie bouddhiste.
Je suis porteur du syndrome d’Asperger[1], un trouble du développement situé à l’extrémité ‘haute’ du spectre autistique. J’ai certainement une personnalité que beaucoup considéreraient comme singulière, pourtant, même à moi, le bouddhisme propose une voie et me donne le courage de mener une vie pleine de compassion.
Le syndrome d’Asperger est depuis longtemps quelque chose que je considère à la fois comme une bénédiction et une malédiction. J’étais doué pour les langues et les sciences humaines à l’école, mais j’étais obsédé par mes devoirs et je passais beaucoup trop de temps sur un sujet au détriment d’un autre. L’obsession et le manque de modération sont devenus des problèmes qui allaient gâcher de nombreux aspects de ma vie. Lorsque j’ai réussi à entrer à l’université, je suis resté très solitaire. J’aspirais à avoir des amis mais je me sentais incapable de m’en faire. Les événements sociaux généraient une grande angoisse et menaçaient d’exposer mon tempérament maladroit, ma tendance à être moralisateur, mon manque de concentration pendant les moments de bavardage inutile et mon incapacité à faire face à la surcharge sensorielle provoquée par une salle pleine de gens. Les lieux de rencontre habituels, comme les pubs et les bars, me terrifiaient : les basses et les synthétiseurs, les bouteilles de bière qui s’entrechoquent, les perles de sueur sur le front des gens. La surstimulation sensorielle provoquait des crises de panique qui m’anéantissaient. Je n’en pouvais plus.
Après plusieurs années de soins psychiatriques incroyablement difficiles à vivre, j’ai fini par être désillusionné par les approches occidentales. Les médicaments tels que le Citalopram ne m’apportaient guère autre chose qu’un soulagement passager, tandis que la thérapie cognitivo-comportementale s’avérait aussi utile qu’un pare-feu en chocolat. Au plus bas, je me suis tourné vers l’Orient pour trouver une solution à ma souffrance et j’ai trouvé le bouddhisme. Celui-ci me permit d’appliquer mes troubles obsessionnels compulsifs et mes traits autistiques à la concentration et à la culture d’états d’esprit positifs au lieu des états d’esprit négatifs qui menaçaient de me détruire.
L’histoire de Sujata, une simple laitière qui avait offert un bol de riz à l’ascète affamé Siddhārtha Gautama, résonna en moi. Ce simple acte de compassion de la part d’une femme qui n’exigeait rien en retour, ni de Siddhārtha ni des dieux qu’elle était censée vénérer à l’époque, toucha le jeune Bouddha en devenir. Il l’amena à emprunter la Voie du milieu, évitant à la fois l’attachement aux plaisirs sensoriels et l’automortification. Une philosophie de vie aussi simple avait du sens et je fis le vœu de placer ma foi dans la compassion, exercée par pur amour, sans tenir compte des prescriptions religieuses ou sociales. En effet, le comportement altruiste est l’un des meilleurs remèdes aux maux que l’on s’inflige à soi-même. Il nous rend plus humble, plus calme, et plus apte à nous connecter à ce qui est vraiment important. J’avais rarement été altruiste. Le syndrome d’Asperger m’avait rendu enclin à des comportements routiniers égocentrés. Il fallait que je change, ou du moins que j’essaie.
Le mot autisme vient du grec "autos", qui signifie "soi" ; notre sens du soi est plus prégnant que celui de l’être humain moyen. Cela ne signifie pas que nous voulons nécessairement nous distinguer, bien que nous le fassions souvent en raison de notre sentiment exacerbé de séparation. Nous sommes visiblement maladroits [dans nos interactions] parce que nous n’arrivons pas à faire preuve d’empathie (ce qui ne veut pas dire que nous ne la ressentons pas) et à être physiquement et émotionnellement intimes avec les autres.
Mon premier acte d’altruisme s’adressait à ma grand-mère. J’ai acheté à ma chère mamie un aspirateur à main pour qu’elle puisse aspirer la poussière dans ses escaliers. J’ai également nettoyé sa maison de fond en comble (elle en avait désespérément besoin). Très souvent le soir, je lui préparais un classique anglais, le "bubble and squeak" [un plat à base de restes de légumes]. Et tous les jours, je lui achetais des tartelettes à la crème au café portugais en bas de notre rue. Le fait de m’occuper de ma grand-mère a rompu mon égocentrisme et m’a permis d’arrêter d’alimenter mes pensées négatives. Je me suis rendu compte que cette composante altruiste de notre santé mentale est quelque chose que la psychologie occidentale moderne ne met pas en valeur, mais qui est fondamental pour un bien-être optimal. [On se rend compte aujourd’hui que les gens qui font du bénévolat sont globalement mieux dans leur peau. NdT)]
Une autre partie de ma pratique consiste à méditer sur la compassion pour Jack, mon frère adoré, qui est autiste non verbal et gravement handicapé. Son visage angélique reflète l’innocence, libre des inquiétudes et des névroses qui m’ont assailli en tant qu’Aspie. À bien des égards, j’aspire à lui ressembler davantage à travers ma pratique bouddhiste, à être plus doux, moins compliqué.
L’autisme est souvent un lourd fardeau. C’est une barrière à la vie qui nous empêche d’être intuitifs, libres et spontanés. Les personnes porteuses du syndrome d’Asperger doivent emprunter un chemin beaucoup plus tortueux et difficile que la plupart des autres personnes avant de pouvoir trouver leur place sur la Voie, à côté des autres. Mais avec beaucoup de persévérance, je crois que je peux atteindre la libération que tant d’entre nous recherchent. Je sens dans mon corps que je suis enfin sur la bonne voie.
Tom Clements est professeur de langues au Royaume-Uni. Il a été diagnostiqué porteur du syndrome d’Asperger au début de la vingtaine et milite pour les droits des personnes autistes (mouvement pour la neurodiversité).
[1]Lesyndrome d’Asperger est un trouble du spectre autistique ou trouble envahissant du dévelop-pement qui se caractérise, comme les autres formes d’autisme, par des difficultés significatives dans les interactions sociales, associées à des intérêts restreints et/ou des comportements répétitifs.